La maison du pays d'Auray porte le nom du Roi Stevan (ti er roué Stevan, en référence à un prophète mendiant qui vécut en pays vannetais au siècle des lumières, et qui marqua profondément la mémoire de ce pays. L'association Ram'Dam assure son animation, par des actions de collectage, mais aussi en suscitant des rencontres lors de manifestations comme les quartiers de lune. 

 

Chronique des murets de Pierre
Eihved suhun a dilost-hañv
Huitième semaine de l'automne
8 - 11 novembre
2002

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Il fait vraiment un temps d'automne. Les fossés commencent à faire le plein, sérieusement, et les champs à se transformer en lacs. A Keranna, la coupe est pleine et ça déborde même sur la route. C'est ainsi que j'ai eu la surprise de croiser trois superbes poules d'eau qui s'ébrouaient sur le bitume en direction de Pluvigner, et ceci en dépit des règles élémentaires de sécurité. Elles se baignaient en toute imprudence en dehors des passages cloutés. J'ai d'ailleurs croisé un de leurs petits cousins entre Plumergat et les Quatre-Chemins, là où la route enjambe un discret petit ruisseau. De la même famille, celle des rallidés qui regroupe aussi les marouettes et les foulques, un râle des genets s'est prestement faufilé sous la lande, apparemment surpris de s'être laissé surprendre. Il est en effet d'une nature très discrète, un peu comme l'engoulevent et peu de gens connaissent son existence. Au Pont-Neuf, ce sont des colverts qui pataugeaient dans la prairie : le Loc'h était pour la première fois de la saison, sorti de son lit.

    engoulevent
    L'engoulvent

Dans les bois et sur les talus, les champignons poussent désormais à foison. Il vaut mieux être régulier dans la cueillette des cèpes car ils sont vite saturés d'eau. Par contre d'autres espèces semblent vouloir profiter à plein de cette manne hydrique qui ne cesse de nous tomber du ciel : les russules, clavaires, amanites panthères et citrines ou autres lactaires poussent à foison. Je trouve ces derniers d'ailleurs un peu prétentieux car, à mon goût, ils ne sont pas aussi délicieux que leur nom l'indique. Il paraît aussi que les chanterelles grises ont fait leur apparition en forêt de Camors. Plus discrète que la girolle, celle qui, dans la famille, a le mieux réussi, cette chanterelle qui n'est pas aussi grise que son nom l'indique, se confond aisément sur les tapis de feuilles mortes. De couleur chamois avec un pied tubériforme jaune, elle pousse en colonies sur les souches. Avec les pieds de mouton, elle annonce la fin de la saison.


Le cèpe                         L'amanite panthère

Pendant que la nature s'avance dans les mois noirs, nos congénères humains vaquent également à leurs obligations saisonnières. On a, le 11 novembre, commémoré l'armistice de la guerre 14-18 pour laquelle les bretons ont payé un lourd tribut. Une stèle a été érigée solennellement avec tambours et trompettes à Sainte-Anne d'Auray. Elle contient de la terre de Verdun. en hommage à nos anciens. «Mal e vo !». Les personnalités ont, dans leur discours et comme à l'accoutumée, fustigé les horreurs de la guerre. Ils ont interpellé les quelques représentants des jeunes générations que leurs institutrices ont eu bien du mal à arracher à leur «star wars» pour les amener aux monuments aux morts en cette matinée froide et humide. Nos édiles leur ont rappelé le sacrifice de nos anciens. Ceux ci ne sont plus que 68 sur l'ensemble du territoire national. Le plus jeune de ces anciens a 101 ans, le doyen, 107. Notre département a enterré son dernier poilu l'an passé. Messieurs les élus, il n'y aura bientôt plus de poitrines à décorer. Mais si, mais si ! rassurez vous : D'autres guerres ont suivi.

Le 11 novembre à Etel avec les élèves du collège.  Le 11 novembre (anticipé au 10) à Ploemel à la sortie de la messe.

Le vieux monsieur a parlé à la télé d'une voix encore assurée. Le vieux monsieur digne avait fait la guerre. Il savait de quoi il parlait. C'était un ancien du «Chemin des Dames», comme mon grand-père. Je me suis dit alors, un brin ému, qu'ils s'étaient peut-être connus. qu'ils avaient peut-être claqué des dents ensemble, de froid ou de trouille. qu'ils avaient peut-être aussi piétiné les mêmes cadavres et chassé les mêmes rats. Je me suis dit aussi que, si par hasard, l'éclat d'obus qui avait cabossé le casque de mon pépé sans le blesser, avait par je ne sais quel hasard, atteint le vieux monsieur de la télé. il ne serait pas là aujourd'hui pour m'émouvoir et me secouer. En fait, je me faisais peut-être un film. un bon vieux film de guerre comme on aime tous en voir.

Sujet suivant à la télé et sans transition comme à l'accoutumée, la guerre en Irak : why and why not ? Je me suis dit alors que la vie n'était peut-être qu'un sale film de guerre que les gens n'avaient toujours pas compris mais je me suis dit aussi que mon pépé et le vieux monsieur s'étaient peut -être vidé une bonne bouteille à deux. Je me suis servi alors un petit whisky bien tassé. Ainsi bien calé au chaud dans mon canapé, je me suis fait tout seul ma petite commémoration : après tout, peut-être suffit-il simplement pour tous ces anciens, de ne pas être oubliés ? Etymologiquement, commémorer veut dire «se souvenir ensemble» ; ça tombait bien, nous étions trois : Le vieux monsieur, mon grand-père et moi.