LE ROI STEVAN |
II.
Le roi
Stevan
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Stevan n'aimait pas qu'on l'interrogeât avec insistance, qu'on s'efforçât d'obtenir de lui par surprise ce qu'il avait résolu de taire. A cet égard, il fallait s'en tenir à ce qu'il avait décidé et la moindre indiscrétion des auditeurs suffisait pour fermer la bouche du mendiant.
Malgré la grande confiance que la plupart avaient en sa parole, il y avait des exceptions et, dans le principe surtout, les dissidents ne manquaient pas : mais chaque jour en diminuait le nombre. Quand, d'un air moqueur, on contestait directement ses prévisions ou qu'on hochait la tête en signe de dénégation, il ne s'en fâchait pas, il annonçait d'autres événements dont la réalisation devait s'opérer à bref délai. L'événement se réalisait en effet et l'incrédulité se trouvait ainsi confondue.
Le veillée finie, le mendiant montait au grenier : il s'y creusait une couche dans la paille ou dans le foin et ne reposait à l'aise qu'en cet endroit. Ce gîte, on ne le lui refusait jamais. C'eût été lui faire injure de contrarier toutes ses habitudes. On savait que son genre d'occupation nocturne était de rester de longues heures à l'entrée de la lucarne, à genoux souvent et les bras croisés, en observation devant les astres dont il étudiait le mouvement. C'est en ce moment, dit le peuple qu'il percevait les secrets de l'avenir: il les lisait dans la lune et dans les astres, ne cessant, pendant toute sa contemplation, de murmurer pour employer la véritable expression «be oai ur vourbouten guet hou». Dès le lendemain matin, il se dirigeait vers un nouveau village où se faisait, pour l'écouter, le même concours du peuple.
De semblables entretiens, périodiquement renouvelés, faisaient rêver nos gens et ils y prenaient une haute idée du mendiant. «Vous êtes bien savant, lui disait-on un jour, presque aussi savant que le bon Dieu. - Oh ! non, répondait-il en souriant : je sais pourtant bien des choses».
Oui, il savait bien des choses, et sa science étonnait d'autant plus qu'on le tenait pour illettré. Une tradition prétend, il est vrai, qu'il avait fait des études ecclésiastiques : mais cette tradition est trop isolée, jusqu'ici du moins, pour avoir un fondement sérieux. Suivant l'opinion générale, il n'avait reçu aucune instruction et cette ignorance où on le savait des lettres humaines augmentait l'admiration pour sa personne.
A la suite de ses prédictions, on lui demandait parfois : «Quand toutes ces choses arriveront, que serez-vous ?... Je serai roi, répondait-il !». C'est de là, d'après une tradition, qu'on a pris occasion de l'appeler et Roué Stevan. Si quelqu'un, du reste, a mérité ce surnom, c'est lui. Son prestige était sans égal et il l'avait acquis en soulevant pour ses contemporains un coin du voile qui dérobait à leurs yeux l'avenir.
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