LE ROI STEVAN |
III.
Les
prédictions du roi Stevan (5)
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De nouveau surgira le militarisme et des tentes se dresseront dans les landes de Ploeren : «Pensez-y bien, mes enfants, lorsque vous verrez ériger des tentes dans la lande de Ploeren, nous toucherons au bord du chapeau.»
Cette locution est proverbiale. Stevan l'a employée pour désigner l'agonie du monde. Dernier présage : «La voie ferrée traversera la terre.»
Elle s'arrête en ce moment à la frontière chinoise. Dès que ce vaste empire s'ouvrira au progrès de la civilisation, une ligne partira de ce point extrême pour aboutir à l'Océan Pacifique.
Et alors il sera rigoureusement vrai de dire que : «D'un bout à l'autre de la terre, le char de feu roule sans interruption, traînant à sa suite ou poussant en avant d'innombrables voitures.»
C'est sur la foi de cette tradition que nos paysans tiraient de l'établissement des voies ferrées cette conclusion remarquable qu'elles serviraient à l'Antéchrist et à ses disciples pour semer à travers les nations leur doctrine perverse. Ce présage n'est-il pas un trait de la plus haute vraisemblance ? Il doit y avoir un certain rapport entre le premier avènement du Sauveur et le second. Lors de sa naissance, la terre entière courbait la tête sous le joug du maître. Il en sera de même à la fin des temps et le maître de l'avenir, c'est l'Antéchrist. Comme son règne aura peu de durée, rien ne devra égaler la rapidité de ses conquêtes. Or quel moyen plus expéditif et plus puissant à la fois de conquêtes que ces voies ferrées qui conduisent visiblement à l'unification des peuples, à la suppression des frontières, à la confusion des nationalités et, par une naturelle conséquence à la suprême domination d'un chef ?
L'apparition du suppôt de Satan sera le malheur des malheurs. C'est la dernière vengeance que Dieu tient en réserve avant de clore l'ère de l'humanité. D'après nos braves gens, nous n'en serions pas bien éloignés. N'en doutez pas, m'a dit un vieillard, le monde avance à pas rapides vers sa fin. Le roi Stevan l'affirme et tout ce qu'il a annoncé se réalise : puis la vie humaine s'abrège de vingt ans par siècle : encore un siècle ou deux et c'en est fait de l'humanité. - Cela m'étonne, ajoute un autre, que la population augmente. Puisque le monde penche vers son déclin, la race humaine devrait s'éclaircir. - Toutes les saisons sont changées, fait observer un troisième, c'est un signe avantcoureur de la catastrophe finale.
Voilà sans doute des aperçus tout neufs et que relève une bonne note d'originalité. Libre du reste au lecteur d'en penser ce qui lui plaira. Ce qui est certain, c'est que nos vieillards, sur la foi des prédictions de Stevan et de quelques autres légendes, demeurent persuadés de la fin prochaine du monde.
Un tel homme ne pouvait ignorer la manière dont il sortirait de cette vie : «Pour moi, je ne mourrai ni dans une maison, ni hors d'une maison.»
Ce sera donc sur le seuil, pensaient les braves gens. On ne comprit qu'en le voyant mourir dans un four. Voici dans quelles circonstances. Dans une noce au bourg de Plougoumelen,
Stevan dit à un clerc : «Pauvre fiancée ! avant un an elle sera au fond de la tombe.»
- «Taisez-vous, Stevan, on ne dit pas ces choses en public.»
La lugubre prédiction circule immédiatement parmi les invités, la danse s'interrompt. On s'assemble autour du mendiant qui ajoute : «Et un homme d'église sera la cause de ma mort.»
Sans répondre, le clerc fait signe à des enfants d'écarter l'importun vieillard. Ils l'écartent en effet, mais non contents de l'arracher à la noce, ils tiennent à s'amuser à ses dépens. Ils renversent une barrière sur le pauvre homme et, tirant alternativement par les deux bouts, le font rouler en tous les sens.
Echappé à grand-peine des mains de ces garnements, il se traîne vers le village de Langario en Baden : Il s'y retire dans un four, où il est trouvé mort quelques heures après ou le lendemain.
Voilà bien des prédictions singulières, surprenantes. Aussi comprend-on aisément que bon nombre des contemporains du mendiant l'aient pris pour un radoteur ou un fourbe, abusant de la crédulité publique pour lui soustraire son pain de chaque jour. Pouvait-il en être autrement lorsque ses vues sur l'avenir dépassaient de si haut toutes les idées régnantes ? Au fur et à mesure de leur réalisation, nos vieillards s'écriaient : «Le roi Stevan a dit ceci, le roi Stevan a dit cela : tout ce qu'il a prévu tour à tour se réalise.», et l'admiration faisait rapidement place aux moqueries inévitables des premiers jours.
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